Il sera intéressant de voir de quel côté pencheront les décisions des élus fédéraux : favoriseront-ils les emplois de l'industrie du tabac au mépris de la vie ou privilégieront-ils la vie, quitte à perdre quelques postes de travail?
Note : Le texte ci-dessous, initialement publié le 14 août a été mis à jour le 17 août 2015 sur la base d'une information qui nous a été communiquée par un lecteur. Notre précédente estimation du nombre total d'emplois liés au tabac en Suisse se montait à 12'000. Notre attention a été attirée sur une étude relativement récente (2013) commanditée par un grand cigarettier, dans laquelle ce nombre est estimé à 8'200 emplois. Ce nombre étant celui officiellement cité par les représentants de l'industrie du tabac en Suisse, nous l'avons retenu pour nos calculs.
Lorsqu'ils (ou elles) débattrons de la nouvelle loi sur les produits du tabac (LPTab), nos conseillers nationaux seront confrontés à choisir entre deux options incompatibles, qui laissent peu de place à la politique du compromis habituelle. Soit ils choisiront de protéger les intérêts économiques de l'industrie du tabac, en mettant l'accent sur les postes de travail créés par cette industrie, soit ils donneront la prépondérance à la santé publique. Étant donné la nature de l'industrie en question, ils ne pourront pas privilégier les emplois du tabac sans que cela se fasse au détriment de la santé publique; de même, ils ne pourront pas opter pour la santé publique sans porter atteinte aux intérêts de l'industrie du tabac.(1)
Dans sa version actuelle, le projet de loi préparé par le Conseil fédéral est désastreux : il prétend protéger la santé tout en préservant les intérêts des cigarettiers. C'est-à-dire qu'il tente de concilier l'inconciliable. Quitte à recourir à l'imposture. Il protège en fait la santé de façon illusoire alors qu'il défend de façon bien réelle les intérêts des cigarettiers, en inscrivant dans la loi leur droit de promouvoir leur produit d'une façon très large - liberté garantie de la publicité sur le point de vente, droit au parrainage des concerts et des festivals prisés par les jeunes, droit de démarchage par des hôtesses, droit d'utiliser massivement le publipostage par email, autorisation de 19'000 distributeurs automatiques dont chacun est un point d'affichage publicitaire très élaboré, avec écrans vidéo où passent en boucle les derniers clips des marques de tabac, etc. Toutes les techniques modernes de marketing du tabac ne sont non seulement pas interdites, mais leur utilisation sera même protégée par la loi !
Afin de mettre en perspective les débats à venir et de permettre aux conseillers nationaux de rectifier le tir, OxyRomandie a élaboré « l'égalité macabre de l'industrie du tabac » qui synthétise l'enjeu principal auquel ils seront confrontés.
Pour estimer les postes de travail créés en Suisse par l'industrie du tabac, nous nous basons sur une étude effectuée pour le compte d'un grand cigarettier en 2013. (2) Selon cette étude, en Suisse 8'200 emplois sont liés au tabac, dont 6'700 sont directement dans le secteurs du tabac et 1'500 dans des activités annexes.
Chaque année, 9'200 personnes meurent à cause du tabac(3). Il est établi qu’un fumeur régulier perd en moyenne 10 années de vie(4) et que le tabac tue la moitié de ceux qui le consomment(5). La perte d’espérance de vie est une moyenne sur l’ensemble de fumeurs réguliers, qu’ils décèdent ou non à cause du tabac. Pour obtenir une telle moyenne, les fumeurs qui décèdent à cause du tabac doivent perdre le double d’années de vie, soit 20 années de vie.(6) Nous réduisons ce chiffre à 15 pour être du côté conservateur dans notre estimation.
Nous avons donc d’un côté 9'200 personnes perdant en moyenne 15 années de vie chaque année à cause du tabac. Cela fait une perte annuelle de 138'000 années de vie.
De l’autre côté et dans le même temps, 8'200 années de travail sont produites par l’industrie du tabac.
En résumé, 16,8 années de vie sont perdues pour une année de travail créée. Nous arrondissons le chiffre à 15 pour pencher du côté conservateur.
Notre équation serait donc plutôt une sous-estimation de la réalité.
Remarquons finalement que l'égalité macabre de l'industrie du tabac ne tient compte que de la mortalité (décès) liée au tabac et n'inclut pas la morbidité (maladies). Or, pour chaque décès provoqué par le tabac, on compte 30 personnes qui vivent avec une maladie grave liée au tabagisme (voir CDC Fact Sheet (4)), soit 275'000 malades à cause du tabac en Suisse. Aux dix années de vie sacrifiées pour un poste de travail dans le tabac, il faudrait ajouter 33 années de maladie. La facture sociale et sanitaire associée à un poste de travail dans l'industrie du tabac est donc énorme.
Il sera intéressant de voir de quel côté pencheront les décisions des élus fédéraux : favoriseront-ils les emplois de l'industrie du tabac au mépris de la vie ou privilégieront-ils la vie, quitte à perdre quelques postes de travail? (7)
2015.08.14/pad - rev1 2015.08.17/pad