La Suisse, lanterne rouge de la lutte contre le tabagisme

Tout semble indiquer que tant pour le Conseil fédéral que pour le Parlement suisse, les intérêts économiques particuliers des industriels du tabac passent avant la santé des habitants de ce pays.

Genève, le 3 septembre 2012 -Après la ratification de la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac (CCLAT) par la République tchèque, le 1er juin 2012, la carte de ratification de ce premier traité international de santé publique pour la région européenne s'établit comme l'indique la carte ci-contre, où les Parties au traité sont en vert, et les autres en rouge.

Carte indiquant la ratification de la Convention-cadre de l'OMS par les pays européensOn constate que la Suisse est le dernier pays du continent à n'avoir pas ratifié la Convention-cadre de l'OMS. L'objectif de la CCLAT est pourtant de protéger les populations contre les méfaits du tabagisme. Les habitants de Suisse seraient-ils des individus de deuxième classe, dont on considère superflu de protéger la santé? On serait tenté de le croire au vu du désintérêt que suscite cette protection chez les élus du Conseil fédéral et du parlement helvétique.

Le fléau du tabagisme n'épargne cependant pas la Suisse, loin de là. Selon les chiffres de l'Office fédéral de la statistique, on compte chaque année dans notre pays plus de 9'000 décès imputables au tabac, soit 15 pourcent des dècès annuels (à titre de comparaison, les accidents de la route font moins de 400 morts - ce qui est déjà beaucoup trop, naturellement).

La ratification du traité de l'OMS est l'une des mesures de santé publique les plus justifiées qui soient, et ses directives sont parmi les moins onéreuses à mettre en oeuvre dans le domaine de la santé publique. En fait, notre pays n'aurait que des avantages à retirer d'une telle ratification. L'application des prescriptions de la CCLAT contribuerait non seulement à réduire massivement la morbidité et la mortalité causées par le tabagisme, mais diminuerait aussi l'énorme coût social (10 milliard de francs par année) engendré par cette addiction. Comment se fait-il donc que la Suisse reste à la traîne et ne suive pas l'exemple de l'ensemble des autres pays européens?

Différentes causes de décès en SuisseA cela, il y a une et une seule explication: l'influence du tout puissant lobby de l'industrie du tabac sur la politique sanitaire suisse. Tout semble indiquer que tant pour le Conseil fédéral que pour le Parlement suisse, les intérêts économiques particuliers des industriels du tabac passent avant la santé des habitants de ce pays.

Les grandes compagnies multinationales ont réussi à faire de la Suisse leur sanctuaire mondial: siège mondial de Philip Morris International (PMI) à Lausanne, siège mondial de Japan Tobacco International (JTI) à Genève, siège de British American Tobacco International (BATI) à Zoug, etc. De là, elles peuvent programmer leurs opérations de conquêtes des marchés émergents - qui passe par l'addiction au tabagisme des adolescents de ces pays - sans aucune entrave. Elles jouissent du culte du secret qui prévaut chez nous (même si ce dernier a récemment été passablement écorné en ce qui concerne les banques), sachant très bien en tirer profit. Welcome to tobacco countryNotre réglementation antitabac très laxiste leur laisse une confortable marge de manoeuvre dont elles se servent aussi bien sur le plan national qu'international. Finalement, elles apprécient au plus haut point notre extrême tolérance, voire complaisance, par rapport au caractère immoral de leurs activités, alors que partout ailleurs, leur réputation est au plus bas (elles sont par exemple considérées par la justice des États-Unis comme des entreprises engagées dans des activités qualifiées de crime organisé).

Il est clair que cette situation extrêmement favorable pour l'industrie ne s'est pas réalisée spontanément: elle est le fruit sur la durée d'un réseau de connivences méticuleusement tissé par les cigarettiers au sein de la classe politique et au sein d'organisations professionnelles telles que Gastrosuisse et l'Union suisse des arts et métiers (USAM).  Au fil du temps, la Suisse est ainsi devenue pour cette industrie un paradis à la fois fiscal, judiciaire et moral.

Les directrives de la CCLAT pour l’application de l’article 5.3 de la Convention-cadre (portant sur la protection des politiques de santé publique en matière de lutte antitabac face aux intérêts commerciaux et autres de l’industrie du tabac) énoncent le Principe Directeur suivant: 

Principe 1: Il y a un conflit fondamental et inconciliable entre les intérêts de l’industrie du tabac et ceux de la santé publique.

En d'autres termes, il y a incompatibilité totale entre les intérêts de l'industrie du tabac et ceux de la santé publique. Cette situation place le législateur et le décideur politique dans l'obligation de choisir : c'est soit les intérêts paticuliers de l'industrie, soit l'intérêt général de la santé publique, mais pas les deux. Nos autorités fédérales ont fait leur choix, et, hélas, on peut légitimement craindre qu'ils n'ont pas opté pour la santé publique.


(pad/03.09.2012)